Article : Le monde de l’Épicerie Fine
" La Moutarde Bornibus : Le grand retour dans l’Épicerie Fine"
Au 58, boulevard de la Villette, impossible de rater cette belle façade agrémentée de deux plaques à la gloire de la moutarde Bornibus et du fondateur de l’entreprise. De grosse lettres-enseignes en plastique terni montrent aussi que l’activité s’est poursuivie jusque dans les années 1970-80. Derrière l’immeuble bourgeois, qui abritait les bureaux et les appartements de la famille Bornibus, l’ancienne usine existe encore, reconvertie en loft et invisible depuis le boulevard. Son fronton est également orné d’une plaque « Alexandre Bornibus », et d’une autre inscription, « Vinaigrier » au sommet du bâtiment.
Comme indiqué sur la façade, la maison a été créée par Alexandre Bornibus en 1861. Cet homme entreprenant, né à Verpillières-sur-Ource (Aube) en 1821, fut d’abord instituteur dans un établissement dirigé par son frère Joseph, puis responsable -toujours avec son frère, et un troisième larron, Nicolas Lefèvre- d’une laiterie et crèmerie en gros installée 19 rue de Milan. En 1860-61, à l’approche de ses quarante ans, il prend son envol : se séparant de son frère, il reprend une fabrique de moutarde, Touaillon et fils, installée dans le quartier des Halles, 8 rue Coquillière.
Très vite, il rebaptise l’entreprise et la déménage dans le quartier tout neuf de Belleville. Une « usine à vapeur » est ainsi construite au 18, boulevard du Combat, adresse qui deviendra 60, boulevard de la Villette lorsque l’artère sera rebaptisée et la numérotation modifiée.
« Ce fabricant, par des procédés à lui, est arrivé à populariser la moutarde; il a fait pénétrer cet apéritif dans tous les ménages », s’extasie « Le Petit Journal » en 1869, à l’occasion d’un article évoquant la gestion sociale de l’entreprise: une fois par an, Alexandre Bornibus donne une journée à ses employés, qui partent tous ensemble dans les voitures de l’entreprise pour un plantureux repas à la campagne. « Nous allons aux champs nous ébattre en l’honneur de médailles qu’il a obtenues dans l’année pour se produits et pour ses appareils de fabrication », raconte un membre du personnel.En quelques années, Alexandre Bornibus devient alors l’un des rois de la moutarde en France.
Un succès rapide lié en partie à ses efforts en matière d’innovation, notamment pour modifier les ustensiles employés de longue date dans la fabrication de la moutarde de Dijon. En mars 1864, il dépose ainsi un brevet pour un « moyen de tamiser la moutarde et diverses autres substances ».
Ce succès est aussi alimenté par les publicités pour la maison. En 1870, Alexandre Bornibus fait ainsi appel à Alexandre Dumas père pour vanter les mérites de ses produits. A la fin de son Grand dictionnaire de cuisine, le célèbre romancier insère un long texte consacré à son commanditaire.« A mon retour à Paris, j’allai voir les ateliers de Monsieur Bornibus, boulevard de la Villette, 60.
Il me fit visiter son établissement avec la plus grande complaisance et m’expliqua que la supériorité de ses produits venait de la perfection de ses instruments de manipulation inventés par lui-même et surtout de la combinaison et du choix de ses matières premières », écrit notamment Dumas.Quelques années plus tard, le Dictionnaire encyclopédique et biographique de l’industrie et des arts industriels se montre également très laudatif : Alexandre Bornibus « devint le premier et le plus important des fabricants de moutarde. Dès lors, le nom de Bornibus fut fameux en Europe, et il ne tarda pas à devenir universel. »
Dans la même veine paraît en 1878 un opuscule de 32 pages écrit par Étienne Ducret et intitulé « La Bornibusiade » : il s’agit d’un « poème gastronomique, piquant, apéritif, hygiénique, biographique, historique et lyrique, en vers libres », tout à la gloire d’Alexandre Bornibus et de sa moutarde. En 1900, c’est le fameux cinéaste Georges Méliès qui réalise un court métrage publicitaire dans lequel les clients d’un restaurant se disputent les pots de moutarde Bornibus, tant elle est savoureuse. Dans les années 1930, Pauline Carton sera également mise à contribution.
Malgré ces incendies à répétition, la maison se développe, et passe entre le mains des trois fils d’Alexandre Bornibus, décédé en 1882. Mais en mai 1908, l’un d’eux, Georges, malade depuis des années, se tire une balle de revolver dans la tempe, « dans un accès de neurasthénie ». Quatre ans plus tard, son frère Lucien se tue accidentellement dans l’usine, en chutant dans la cage d’un monte-charge. Paul, le troisième fils, se retrouve alors seul aux commandes.
C’est le dernier Bornibus à diriger la maison. Au début des années 1930, alors que Paul approche des 75 ans, aucun des petits-fils susceptibles de prendre la suite n’est finalement à même de le faire: « l’un meurt à l’âge de vingt ans, deux sont tués durant la première guerre mondiale, le dernier revient handicapé (gazé…) », explique Bernard Pharisien, auteur d’un livre très riche consacré à la famille, Bornibus Le Champenois (2011).En 2012, Casimex Fine Foods rachète la marque avec la volonté de lui redonner son image d’antan. Grâce à son habillage vintage et au raffinement de ses recettes, Bornibus revient plus fort qu’auparavant.